"Esquisse d'une étude des formes de l'hybridité dans le cinéma d'Álex de la Iglesia : l'exemple du personnage-pantin"

International audienceMetteur en scène de l’excès et du débordement, Álex de la Iglesia est l’auteur d’un cinéma qui fait fi de toute limite, tant au sein de la diégèse que sur le plan de la forme filmique. Il donne corps à des sujets excentriques, voire monstrueux, qu’il qualifie lui-même de "frikis" et dont les identités fluctuantes révèlent l’instabilité des frontières entre les territoires du vivant et de l’inanimé, entre réalité et facticité, vérité et illusion. Aux transactions identitaires qui s’opèrent dans des univers fictionnels placés sous le signe du décloisonnement et de la réversibilité, répondent, au niveau du texte filmique, les déformations et métissages génériques auxquels se livre le réalisateur basque, éminent porte-étendard du cinéma postmoderne espagnol.C’est ainsi depuis la perspective de l’hybridité monstrueuse que la filmographie d’Álex de la Iglesia peut être appréhendée. Nous aspirons, dans ce travail, à explorer les stratégies d’une écriture cinématographique représentative des problématiques créatives de la postmodernité et, en même temps, tributaire de la tradition culturelle du Carnaval et du grotesque espagnol, dont l’esperpento constitue l’une des expressions les plus emblématiques. Nous entendons mener une réflexion filmique sur quelques formes et occurrences de l’hybride chez le metteur en scène, à partir d’un balayage de sa filmographie, centré sur les longs-métrages qui nous semblent les plus significatifs pour notre étude, inévitablement sélective. Les hybrides génériques que sont Acción mutante (1992), El día de la bestia (1996), Muertos de risa (1999), La comunidad (2000), Crimen ferpecto (2004), Balada triste de trompeta (2010), La chispa de la vida (2012) ou encore Las brujas de Zugarramurdi (2013) nous amèneront à examiner en particulier l’une des facettes du freak delaiglesiano : le personnage-pantin. À travers ce dernier, le réalisateur s’aventure aux confins d’une figure humaine fermement inscrite, dans la plupart de ses films, dans un espace de l’"être-entre, [du] passer entre, [de l’]intermezzo", pour l’exprimer en termes deleuziens. Lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes assimilés – soit par le biais de leur typification ambivalente, soit par le truchement de l’énonciation filmique – à des marionnettes manipulées par un cinéaste démiurge, les êtres diégétiques paraissent se dupliquer, trouvant dans les mannequins, statues de cire et autres automates, un reflet inerte, un double factice qui singe la vie tout en étant dépourvu. Emblèmes monstrueux d’un univers où le réel, concurrencé par le virtuel et l’illusion, tend à se désagréger, les personnages-pantins d’Álex de la Iglesia sont ainsi autant de passages vers de troublantes étrangetés. La transfiguration mécanisée du vivant dont ils sont le fruit est reflétée par la mise en scène de corps carnavalesques, grotesques au sens bakhtinien du terme : le réalisateur dépeint des organismes inachevés, en état perpétuel de déconstruction et de métamorphose. Ces sujets hybrides incarnent une identité humaine dont les contours sont sans cesse interrogés, soumis à une nécessaire redéfinition, de même qu’au sein d’un corps filmique lui-même hybride, les frontières entre les genres cinématographiques sont constamment déformées, transgressées et, par là même, remises en question